Le royaume moundang est un ancien État du centre de l’Afrique, localisé autour de la ville de Léré dans le sud-ouest du Tchad, près de la frontière avec l’État du Cameroun. Ce royaume est apparu au milieu du xviiie siècle et couvrait un territoire d’environ 5 000 km2. Les souverains animistes moundang ont dû faire face aux assauts militaires des Peuls musulmans puis à la colonisation française. Le royaume n’existe plus aujourd’hui en tant qu’entité politique indépendante, mais seulement comme une chefferie traditionnelle en relation avec les autorités administratives tchadiennes modernes.
La monarchie moundang était un pouvoir politique qui garantissait l’ordre social, cosmique et symbolique à travers des rituels fondés sur le calendrier agricole. Leurs justifications trouvaient leurs racines dans les mythes, les faits et les gestes de Damba, le premier roi (Gõ ou Gong) moundang. Ce système de pensée attaché au concept de « royauté sacrée » a été étudié par l’anthropologue et ethnologue français Alfred Adler dans le dernier quart du xxe siècle.
La royauté sacrée est l’un des thèmes de l’histoire comparée des religions. Cette notion apparaît chez des peuples de l’Antiquité et chez des peuples, surtout africains, étudiés par des anthropologues contemporains. La théorie du « roi divin » ou du « roi sacré » fut mise au jour, vers 1890, par l’ethnologue britannique James George Frazer (1854-1941) pour expliquer la légende du Rameau d’Or dans la Rome archaïque ; le meurtre par son successeur du roi-prêtre de la déesse Diane dans le bois sacré de Nemi étant selon lui le modèle originel. Il développa sa pensée en s’appuyant sur des exemples tirés des peuples africains, en commençant par la monarchie sud-soudanaise des Shilluks où, selon la mythologie locale, le souverain est exécuté au premier signe de faiblesse sexuelle. L’impuissance du roi est alors vu comme le signe d’un danger pour la fécondité des humains, des troupeaux et des plantes cultivées1.
Les Moundang considèrent leur roi comme un faiseur de pluie. Il a le pouvoir de faire tomber la pluie ou au contraire d’empêcher sa venue. Cette faculté sur la nature faisait que le souverain était soit craint soit respecté4:
« Nos ancêtres pensaient que le Gõ-Léré avait le pouvoir de faire la pluie ou la sécheresse. Par exemple, une brume comme celle de ce matin, ils l’attribuaient au roi (…). Des très grosses chaleurs, des vents très violents et des tornades dévastatrices, on disait qu’ils étaient le fait du roi. Des criquets dévoreurs du mil, on disait la même chose et c’est à cause des criquets qu’on a chassé Gõ-de, l’usurpateur qui succéda à Gõ-Kajonka. Les vieux murmuraient que le roi avait ouvert la porte de la case des criquets.(…) Nos ancêtres connaissaient le nom de Dieu, Masin, mais ils s’abandonnaient seulement aux mains du roi. On prononçait le nom de Dieu pour les maladies, on invoquait son nom pour qu’il aide à la guérison, mais on pensait que le roi de Léré pouvait obtenir de Dieu ce qu’il voulait, en mal comme en bien. »
— Mangay, informateur de l’ethnologue Alfred Adler.
Une des caractéristiques des « rois sacrés » est d’être exécutés à intervalles réguliers, s’ils ne mouraient pas de mort naturelle durant leur temps de règne. La chronologie des règnes successifs des rois moundangs reste encore très largement incertaine. On ne peut donc pas discerner avec certitude la fréquence du régicide rituel. Toutefois, des complots et des assassinats ont été remarqués. Il semble cependant que cette pratique ait été effective. Pour l’ethnologue allemand Leo Frobenius, un des premiers européens à avoir exploré cette zone de l’Afrique, la monarchie moundang a instauré un rapprochement entre le régicide du roi et la circoncision collective des jeunes garçons:
« Les Moundang, à l’exemple de leurs voisins méridionaux, célèbrent avec enthousiasme la circoncision, le Djang-ré. Celle-ci ne peut avoir lieu qu’à la mort d’un roi (Gong), mais aussi chaque roi, qu’il s’agisse d’un souverain puissant régnant sur Léré ou d’un chef de commandant d’un village “doit” mourir au terme de la 7e ou 8e année de son règne, il “doit” mourir qu’il le veuille ou non. La personne à qui il incombe de forcer cette éventuelle résistance du roi n’est nul autre que son pulian, autrement dit le frère de sa mère. En effet, si le roi ne meurt pas de lui-même après 8 ans de règne, il faut que le puliantraîne au bout d’une corde, enveloppé dans la peau d’une vache blanche, le crâne du père défunt du roi — son prédécesseur — et qu’il se promène ainsi devant la place où se tient le roi “exédentaire” pour qu’il voie son memento mori. Quand le roi voit cela il meurt infailliblement la nuit suivante. Une fois que c’est chose faite, une deuxième charge incombe au pulian : il doit couper la tête du roi qui vient de mourir. La tête ainsi coupée est cousue dans la peau d’une vache blanche et, ainsi cachée, elle est introduite dans une grande poterie. L’urne funéraire est portée avec beaucoup de soin vers une montagne où se trouve une caverne faisant fonction de mausolée des crânes royaux. Mais le tronc est jeté dans une rivière et nul ne se soucie du cadavre du roi… »
— Leo Frobenius, Atlantis V. 76. Passage traduit par Alfred Adler.