Le Cameroun septentrional est la partie du pays qui, du point de vue administratif, couvre trois régions : l’Adamaoua (Ngaoundéré), l’Extrême-Nord (Maroua) et le Nord (Garoua). De prime abord, cette partie du pays est plus complexe qu’elle ne paraît. Au plan sociologique, le Cameroun septentrional s’est construit aux confluents de plusieurs rencontres entre les peuples, les cultures, les langues et les civilisations. L’histoire y a joué un rôle décisif dans la formation des identités mouvantes. A la période postcoloniale, cette partie fut érigée en une seule province (Nord), avec pour chef-lieu Garoua. Elle amorce la dynamique de construction monolithique de la région, justement ajustée à l’idéologie de l’Etat-nation.
Depuis la fin des années 1980 et dans la mouvance de changement intervenu au sommet de l’Etat le 06 novembre 1982, qui a consacré la démission du premier président camerounais Ahmadou Ahidjo et l’arrivée de Paul Biya, le Cameroun septentrional a enregistré une série des transformations multisectorielles (administratives, politiques, socioculturelles, environnementales, développementalistes). Le décloisonnement administratif survenu en 1983, qui a provoqué l’éclatement du « Nord » en trois provinces, a incidemment œuvré à la démonopolisation de la société politique régionale qui a subi une véritable effervescence avec une forte constellation socio-idéologique. De même, la dynamique identitaire va donner lieu à une décompression du paysage socioculturel qui permet une expression plutôt plurielle au Cameroun septentrional. Désormais l’énonciation pluriethnique, pluri-religieuse, pluri-identitaire module de trait en trait la conduite des acteurs politiques.
A l’évidence, c’est une région en pleine renaissance/effervescence que rencontre le mouvement de démocratisation de la vie politique nationale en 1990. Une élite largement diversifiée est en quête de nouveaux repères dans une perspective de redéfinition des lignes de rapport de force entre les différentes composantes sociales. Les groupes socio-idéologiques articulent des stratégies d’identification et de réinvention de tous ordres (politiques, social, religieux…). Les luttes politiques indiquent une réécriture de l’histoire d’une région en butte à des convulsions plurielles. Dans ce cheminement, l’espace socio-intellectuel a fait sa mue. La quête des savoirs universitaires qualifiés habite de plus en plus une région jadis en manque d’infrastructures et d’établissements universitaires. La production scientifique sur le Cameroun septentrional a pris du relief. L’espace universitaire est certes un facteur de productivité intellectuelle mais également un multiplicateur de développement socio-économique à l’échelle régionale.
La dynamique libérale a également favorisé l’éclosion du social. Dans ce sens, l’espace développementaliste a vu surgir des acteurs collectifs et organisationnels. La puissance publique (Etat, pouvoirs publics) n’est plus le seul acteur protecteur et dispensateur des biens collectifs auprès des populations. Aujourd’hui, la figure du « développeur » (GIC, ONG, collectifs, société civile…) est présente aussi bien dans les villes que dans les zones rurales du septentrion. Dans cette perspective, la décentralisation peut être une opportunité pour les communautés à la base, qui seront désormais appelées à s’impliquer dans les politiques de développement à implémenter. Elle peut être également un facteur de délocalisation des conflits d’autorité et d’intérêts à l’échelle périphérique en raison des rentes que le transfert des ressources va sécréter au sein des collectivités territoriales décentralisées (CTD).
Sur un autre plan, le Cameroun septentrional fait face depuis plusieurs décennies à la problématique de la sécurité qui met en exergue la question centrale des « coupeurs de route », qui sont au centre des dispositifs sécuritaires dans cette partie du pays. L’insécurité dans les localités septentrionales interroge la politique sécuritaire du Cameroun aussi bien à l’intérieur qu’en termes de viabilisation des espaces frontaliers et transfrontaliers. En somme, le Cameroun septentrional contemporain est marqué par une historicité caustique. Son évolution, toujours erratique, se module en termes de ruptures, de permanence et de reflux.
Source: Contemporary Northern Cameroon: Features, configuration and reconfiguration of a changing region
ALIOUM IDRISSOU, PhD, Recteur de l’Université de Maroua